ELOGE FUNEBRE DE MARCELLE POURBAIX-TROJAN

prononcée à Uccle le 24 novembre 2007

par son fils le Docteur Philippe Pourbaix

Merci à tant de familles et d’amis d’être ici avec nous pour dire au revoir à Marcelle Pourbaix-Trojan (notre Mamy).

Mamy désirait nous quitter déjà il y a 9 ans en même temps que Marcel Pourbaix (notre papa).

Sa robuste constitution de « fille Trojan » en a décidé autrement : elle a pris son temps pour que nous puissions encore profiter pendant quelques années d’elle et de nous, des uns des autres.

A quelques mois près elle aurait parcouru un siècle entier de vie ! Quel formidable espace de temps ! Quel livre d’histoire, de vécus et de réalisations !

J’aimerais évoquer quelques souvenirs de sa vie, souvenirs enfouis dans les recoins de sa mémoire et évoqués ces derniers mois par des paroles vagabondes pas toujours faciles à décoder mais se rapportant clairement – par touches furtives – à une grande toile de vie, bariolée, dynamique et attachante : une parole par petit tiroir de mémoire. Il y en a eu des dizaines et des dizaines. Tiroirs ouverts, entrouverts ou vite refermés. Des pièces de puzzle qui, mises bout à bout, se rapportaient au fil d’une vie riche, authentique, créative, expressive et amoureuse.

C’est sûr : l’amour de son Marcel a dominé sa vie. Marcel (papa) était le cerveau logique et scientifique. Marcelle (Mamy) c’était le cerveau intuitif et créatif : ils étaient faits pour se compléter, se comprendre, s’admirer l’un l’autre dans une complicité assez fascinante.

Quelles sont les évocations que Mamy a faites ces derniers mois ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- par exemple : la rue du Cerf, la maison où elle est née à Forest (la jardin merveilleux « où il y avait tout, sauf des éléphants »). Et les soldats allemands de la 1 ère guerre (1914-1918) que Bon Papa avait confinés dans le sous-toit d’une longère de l’Usine Trojan…

- ou bien : le jardin extraordinaire d’Uccle, au 95 de la rue Gatti de Gamond,

- ou bien : les pièces d’eau, les barquettes et le bras de mer du golf du Morbihan, les arbres, les chambres, la bibliothèque du manoir du Plessy-Khaer près d’Auray où nous avons abouti lors de l’exode de mai 1940 avant d’être rattrapés par l’armée allemande.

- ou encore : la carrière de Froidmont où l’oncle Memen nous a accueillis pendant la 2 ème guerre (1940-1945). Sur son vélo, avec un petit foulard rouge à pois sur la tête, Mamy faisait la tournée des fermes alentour : chez Bouchat un peu de salaisons, à Jamagne un peu de beurre, à Saint-Aubin quelques légumes.

 

Les tableaux qu’elle a peints à cette époque reflètent une tranche de vie très simple : pas d’eau courante, pas de téléphone, des jeux dans la campagne. Et pour ses trois fils : des barboteuses de toile inusable et des sabots de bois taillés sur mesure à Yves-Gomezée. Trois fils si différents de caractères mais qu’elle a toujours voulu rendre identiques (par l’apparence) … et sages : heureusement elle ne connaissait pas trop nos jeux pleins d’imagination et de prises de risque que nous organisions dans la rivière, dans les rochers ou dans la carrière,… à trois ou avec les cousins et les cousines…

Les petites touches litaniques de ces derniers mois évoquaient également des coins mystérieux, des chemins qui montent, qui tournent, avec des ornières, des ruisseaux à traverser, des ponts fragiles, des ambiances où on pouvait deviner la présence de Marcel, de Louise, de Jean etc.… C’est sûr, ces tiroirs de mémoire-là s’ouvraient pour évoquer le « Bouxhou » à Mont-le-Ban !

Ses rapports chaleureux d’affection avec Louise l’ont porté jusqu’à la fin.

 

Vous le savez sans doute :

Après la peinture, Mamy s’est mise à la sculpture. Elle avait déjà 46 ans… Trop tard pour percer dans le métier ! Trente-trois ou trente-quatre œuvres en 10 ans, une quinzaine d’expositions… Et puis, hélas, une maladie de la rétine qui brisa l’élan. Malgré son problème de vison, elle fit encore (en 1989) « l’arbre de vie », un « bijou pendentif d’adieu » pour la finition duquel elle dût se faire aider.

C’était une bonne idée de travailler dès 1997 à mouler et à couler en bronze l’essentiel de son œuvre sculpté. Le clou fut la rétrospective présentée au Centre Culturel d’Uccle en septembre-octobre 1999. Elle avait 91 ans ! La préparation de la plaquette éditée à ce moment fut l’occasion pour Mamy de vaincre sa modestie, de se dévoiler, de se décrire, de se raconter, de se souvenir d’elle-même et, aussi, de ses collègues artistes. Je cite quelques noms : Marnix d’Haveloos, Fernand Debonnaires, Albert Dasnoy, Charles Leplae, Georges Grard et les mouleurs-fondeurs-praticiens tels que De Jonckheere, Patrick Laroche, Di Méo, Ghysels, Francart, Maf à Milan, la Fondation Grard à Gijverinckhove, etc.

Cette exposition fut son chant du cygne. Tous ceux qui ont pu la visiter gardent un vif souvenir de sa sculpture solide et harmonieuse !

Voilà !

Avant de terminer, j’aimerais proposer (en particulier aux jeunes que je vois parmi nous) de tenter de considérer ce que c’est « une centaine d’années », un siècle :  
 

- c’est à peine un vingtième de l’Histoire comptée depuis ce qu’on appelle l’an zéro de Jésus-Christ…

- c’est pratiquement tout le 20 ème siècle, qui a vu tant d’horreurs et tant de bienfaits, tant de bouleversements dans les mentalités, les modes de vie, dans les rapports entre les gens, entre les peuples, dans les médias : on est passé du poste à galène à l’écran TV plat… Le monde s’est mis à communiquer avec le monde, alors qu’avant la guerre cela se passait à l’échelle du quartier ou du village !

 
Mamy vous aurait dit ceci:  

-100 ans de vie c ’est court si on a des choses à créer, à produire, Tout retard se paye cash ! Trainer au démarrage, c’est irréparable, irrattrapable. Ne trainez pas, foncez ! et collez à votre temps !

- Jusqu’à peu de jours avant sa fin, Mamy exprimait sa philosophie avec insistance : « Soyez heureux » était sa phrase fétiche et tous ceux qui l’ont visitée ces derniers temps l’ont entendue. Sa culture du bonheur était faite de gentillesse, de générosité, de droiture, d’honnêteté, de sincérité et de respect. Pour elle – et pour nous - cette philosophie a rendu toute demande, tout recours, tout besoin d’une quelconque religion inutile .

 
Elle vous aurait dit aussi ceci :  
  - N’hésitez pas à consulter-bousculer les « vieux » ! Passez outre leur pudeur, leurs réticences, leurs secrets même ! Chaque être humain a vocation d’être une bibliothèque, une boite à souvenirs et une mine d’expérience !… même s’ils sont parfois « nuls » en technologie moderne !  

Mamy et Papy (l’ingénieur-chercheur connu dans le monde entier ! cliquez sur « Marcel Pourbaix » sur Internet et vous verrez !) n’ont jamais approché un ordinateur ! C’est dommage peut-être, c’est une belle leçon sûrement !

Je pense que le parcours de vie de Mamy est une histoire précieuse ! Elle nous a énormément donné !

Nous la remercions pour tout cela.

 

 

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Christian GOENS, La Louvière - novembre 2007