Lin Fuchen

PAUL SPLINGAERD

Biographie d'un mandarin chinois d'origine belge, fonctionnaire civil et militaire de la fin de l'empire Qing

Cette biographie est le résumé de plusieurs études et compilations résultant de nombreuses années de recherche. Très longtemps mal connue, la vie de ce personnage extraordinaire est restée longtemps en sommeil. Il aura fallu plusieurs évènements pour qu'il soit révélé au grand public.

La source principale des différents moments de sa vie est l'ensemble des archives de la Congrégation du Coeur Immaculé de Marie (CICM). Elles ont reposé longtemps à Rome et se trouvent principalement à Leuven (Belgique) à l'heure actuelle. Ces archives ont inspiré de nombreux auteurs et sont à la base de ce qu'ils ont écrit. Mais il existe d'autres sources, moins concentrées qui ont retenu notre attention particulièrement parce qu'elles semblaient plus neutres: les archives de la Congrégation ne relatent principalement que les relations que les prêtres ont eu avec Paul et ne permettent pas une reconstruction de toute la vie du mandarin. Les premières tentatives de reconstitution de sa vie fut tentée en 1986 par le Père Josef Spae, CICM relayé rapidement par des auteurs comme Jo Gerard et Bernard De Witte, entre-autres. Il faut reconnaître l'immense travail effectué par Spae, non seulement pour ses analyses des archives mais par la composition d'une très riche bibliographie. Il faut également saluer les membres du Heemkundige kring Huldenberg pour leur attachement à la mémoire de Paul Splingaerd et leur activité en sa faveur.

Un autre apport extrêmement constructif est l'étude de Anne Splingaerd-Megowan, arrière-petite-fille du mandarin. Envisageant la vie de son ancêtre avec une autre perspective fondée sur la tradition orale de la famille et une riche iconographie, elle a trouvé les différents chaînons manquants dans la biographie de Paul Splingaerd pour en faire un récit complet. C'est bien avant la sortie de son livre que via Internet, je suis entré en relation avec elle. J'ai pu alors apporter ma part à l'édifice en partageant mes trouvailles et en publiant en permanence les nouveautés. Cette présence sur la toile a permit les retrouvailles des cousins descendants de Paul et de Catherine. Ces retrouvailles ont favorisé une nouvelle concentration des informations encore disponibles parmi lesquelles le partage des photographies représentant des objets usuels de l'époque.

Malgré ces nombreuses années d'effort, certaines parties de la vie de cet homme généreux restent dans l'ombre et nous n'aurons de cesse de continuer à collecter les données partielles qui permettent de combler certaines lacunes. Mon site, qui peut être mis à jour en temps réel, continuera à y contribuer.

Merci à tout ceux qui ont offert leurs informations en partage - votre webmaster Christian en juin 2010

ENFANCE ET JEUNESSE

 

La grande aventure orientale de cette famille commence lorsqu'un enfant, enregistré comme étant Paul SPLINGART (Splingard, Splingaerd), né le 12 avril 1842 à Bruxelles de père inconnu, est laissé par sa pauvre mère née Pauline Splingart (Splaingard), dans le tour d'abandon d'un Hospice " vêtu de deux bonnets, d'une chemise, d'une camisole de coton et d'un encullot de toile". Considéré comme un "enfant de la Patrie", il est confié successivement à la famille DEPRE (Deprée) puis à la famille VANDEPUT et passe son enfance dans le village belge de Ottenburg-Huldenberg. Il va connaître là la vie des enfants placés en famille d'accueil, élevé et travaillant dans une ferme et est très peu scolarisé. Il connait ainsi la vie simple et rude des paysans du dix-neuvième siècle qui en fait un gaillard petit et robuste.
Il part en Chine, en 1865, comme assistant de l'aumônier, Théophile VERBIST, qu'il a rencontré à la fin de son service militaire, et qui vient de fonder la Congrégation des Missions de Scheut . La conversion des Chinois est son objectif. Vaste programme pour lequel il s'attache Paul Splingaerd comme aide-domestique. Trois autres missionnaires se joignent à eux et, en août 1865, ils s'embarquent pour Tianjin, en passant par Marseille et par Rome où ils sont reçus en audience par le Pape, pour un voyage de 103 jours. Le jeune Paul Splingaerd débute son aventure hors du commun (période 1865-1868).

Paul Splingaerd vers 1865 - (Photographie H. De Saedeleer, Bruxelles (from J. Spae)

 
La congrégation fut nommée Congregatio Immaculati Cordis Mariae (CICM), connue plus pratiquement sous le nom de la congrégation de Scheut, avec Fr. Verbist comme supérieur initial.
Théophile Verbiest
C'est avec Théophile Verbist dont il était le domestique et avec Ferdinand Hamer que Paul Splingaerd s'en alla vers sa destinée, passant par Paris, Marseille avant d'être reçus en audience privée par le Pape Pie IX.
Ferdinand Hamer

Le 'patron' de Paul, Théophile Verbist et un de leur compagnon, Ferdinand Hamer qui deviendra évêque et mourra martyr pendant l'insurrection des Boxers en 1900.

ETABLISSEMENT EN CHINE

Ils arrivent en Chine après avoir voyagé vers la fin sur un bateau bourré d'opium, en novembre. Un nom chinois s'impose sur le passeport collectif délivré par le consulat français et Paul Splingaerd devient Lin Fuchen. Il est âgé de 23 ans. Les Scheutises s'en vont remplacer les Lazaristes en Mongolie. En moins d'une année, il parle chinois; avec les prêtres, il apprendra également un peu le "latin de sacristie" tout en montrant des dispositions étonnantes en matière linguistique. Ils sont installés en Mongolie Intérieure, à Ziwanze où Paul restera trois ans au service des prêtres, se montrant dévoué et entreprenant, traduisant les homélies des prêtres à la première époque, fabriquant de la bière et même du vin mousseux, etc. mettant en oeuvre les choses simples apprises de sa vie à la campagne.


Lin Fu Chen

DEBUT DE CARRIERE MOUVEMENTEE

Mais en 1868, le père Verbist meurt du typhus exanthématique et cet évènement qui affecte son employeur va changer la destinée du jeune homme. Il quitte rapidement les Scheutistes et, au lieu de revenir en Europe où il n'avait aucune attache, il passe au service de la délégation allemande de Pékin à l'instigation d'un de ses anciens collègues, Laurent Franzenbach qui avait quitté la mission avant lui. Paul fait de fréquents trajets entre Péking et Tientsin en qualité de transporteur de fonds. Ce qui le conduit à commettre un meurtre pour lequel il sera acquitté sous l'empire de la légitime défense. Après cet épisode épique qui défraya la chronique dans les milieux des légations car il n'avait pas de passeport personnel, il entre en rapport avec von Richthofen qui cherche un interprète et un guide. C'est un nouvel épisode important de sa vie d'aventure.
Le baron Von Richthofen, géologue connu mandaté par la Chambre de Commerce de Shanghai, conduisit sept expéditions à travers huit provinces de la Chine pendant plus de quatre ans accompagné par Paul Splingaerd qui se montra inventif en toutes choses, tant pour les menus services domestiques que pour aider le savant dans ses recherches et le classement des échantillons recueillis. Il avait le contact facile avec la population souvent belliqueuse, s'habituait aisément aux différents dialectes chinois aussi facilement que, plus tard, il apprendra l'allemand, l'anglais, le russe, le turc, le mongol. Il est certain qu'avec le baron, Paul Splingaerd devint ce qu'il fut et qu'aujourd'hui l'Histoire nous conte. Il acquit au contact du savant une connaissance de la minéralogie et de la géomorphologie qui lui sera utile tout au long de sa carrière. En échange, il protégea le baron comme un garde du corps (période de 1868 à 1872).

Baron Paul Wilhelm Ferdinand Von Richthofen,
(05/05/1833 - 06/10/1905) géographe et géologue allemand réputé qui fut le patron de Paul Splingaerd pendant quatre ans.
Dans ses écrits, iI ne tarissait pas d'éloges pour les services que Paul lui rendit.

Il est plus connu du grand public pour son invention du terme Route de la soie pour désigner les voies de transit du commerce Asie-Europe pendant de nombreux siècles.

Paul Splingaerd

COMMERCANT EN MONGOLIE ET LE MARIAGE

Lorsqu'il eut quitté le savant, Paul poursuivit sa carrière en faisant du commerce avec la Mongolie avec l'aide financière d'une société britannique de Shanghai, Jardine & Matheson et en s'associant avec un allemand, Graesel. Ils créent successivement un comptoir à Kalgan (Zhangjiahou) qui se trouve sur la Grande Muraille extérieure et qui est le point de passage de tout ce qui vient de la Sibérie, puis dans la capitale de la Mongolie intérieure, la Ville Bleue ou Guihuacheng, aujourd'hui Huhehote. Il achetait aux Mongols de la laine, du poil de chameau et des fourrures en échange de biens qu'il rapportait de la côte. Il avait en outre un entrepôt et des machines de lavage de la laine à Tientsin. Mais ne réussit pas à s'imposer véritablement dans les affaires. Il faut dire que les trajets étaient longs et il n'était parfois payé que d'une saison à l'autre. Il se faisait, en outre, voler par ses employés car il ne pouvait être de tous les voyages. Nous disposons de cette époque d'un témoignage assez extraordinaire écrit par un jeune voyageur belge, Alfred Blondel.
Toujours est-il que le 28 janvier 1873, il épouse une jeune mandchoue chrétienne de la maison de la Sainte Enfance de Eul Shey San Hao, Catherine Li, de quatre ans sa cadette et dont il aura treize enfants, dont les aînés qui naîtront dans le Tchely (Shanxi) ou en Mongolie Intérieure, où il réside. Il lui faudra très longtemps pour que le consulat de Belgique enregistre officiellement son mariage qui fut primitivement de nature religieuse.

Catherine Li-Splingaerd

Catherine était de la famille TCHAO (par sa mère), née en 1846, elle est décédée à Tientsin le 20/09/1918.

En dépit de la détresse de la Chine où règne la famine après la grande jacquerie des Taiping, son mariage fut heureux, malgré les difficultés financières dues à son manque d'habileté commerciale, sa trop grande générosité (on dit qu'il dépensait l'agent qu'il n'avait pas encore gagné) et à ses fréquentes absences dont ses employés profitaient pour " alourdir la laine livrée, avec du sable ". Néanmoins, cette période de huit-neuf années de sa vie lui fut extrêmement profitable car, non seulement il avait renoué avec les Scheutistes dont il profitait de l'hébergement le long de ses voyages, mais s'était constitué un réseau de relation très intéressant comme avec le prince Mongol Alashan Wan, frère du roi de Mongolie ou l'Allemand Detring, de Tientsin, homme de confiance du vice-roi du Pecheli.

OFFICIER DES DOUANES ET MANDARINAT

En 1881, il abandonne ses activités commerciales (dans des conditions inconnues) et il est nommé mandarin (fonctionnaire) officier des Douanes Impériales à Suzhou, ville frontière du nord de la province de Gansu, par le grand ministre et vice-roi Li Hongzhang dont il est connu et sur la recommandation de Gustav Detring qui était lui-même responsable des douanes maritimes. Il faut dire que le vice-roi préférait confier les postes de douane importants à des européens car ils étaient moins corrompus et rapportaient plus au trésor. Suzhou est un poste frontière installé par les accords dits de Saint Petersburg où il était prévu un contrôle du transit des marchandises sur cette branche nord de la Route de la soie. La ville se situe à plus de 2000 Km de la côte-est, à proximité du grand désert du Gobi. Paul et sa famille y resteront quatorze ans et c'est là que naîtront ses plus jeunes enfants.

 

Li Hung Tchang Gansu Map Gustav Detring

Il y disposait d'un bâtiment de fonction appelé yamen qui était à la fois sa résidence, ses bureaux et d'une disposition proche d'un caravansérail. Outre ses fonctions de percepteur des taxes douanières qui ne lui donnaient aucun soucis car le transit était très peu rentable au trésor impérial à cause d'un grand nombre d'exceptions et de dérogations et qu'il disposait d'un secrétariat pour les écritures, il introduisit bénévolement les méthodes occidentales pour lutter contre la variole qui était endémique à l'époque; il dispensait des soins gratuitement à la population avec l'aide de sa femme et de ses filles aînées grâce à une salle aménagée à cet effet; il pratiquait la médecine et la chirurgie sur la base de ce qu'il avait appris avec les prêtres. Il disposait également d'une chapelle où les prêtres de passage pouvaient faire leur office. Comme tous les fonctionnaires de haut rang, il avait en charge la Justice de Paix et la prison. Il accueillait avec faste tous les étrangers de passage qui ne manquèrent pas de le signaler dans leur relation de voyage. Paul Splingaerd acquit ainsi une renommée à 1000 km à la ronde pour son originalité, sa bonté et son courage, d'autant que Li l'envoyait régulièrement en inspection vers l'ouest, vers Urumqi dans le Xinjiang, nouvellement sous la responsabilité de la Chine. Lorsqu'il quitta Suzhou (aujourd'hui assimilé à Jiayuguan - Jiuquan en pinyin), le personnel des douanes et la population le remercièrent de manière très démonstrative avec des cadeaux dont un parasol de parade orné d'une incroyable quantité de morceaux d'étoffe exprimant leurs remerciements pour son bénévolat. Les chinois appellent cet objet "l'ombrelle des dix mille noms". Et on lui éleva une statue cent ans plus tard.

 

Paul, Catherine et leurs enfants ainsi que le fameux parasol de parade en 1896, Shanghai
Il y a tout lieu de penser que le personnage qui tient une pipe, à droite, est l'enfant qui a décidé de porter le nom de celui qui l'a recueilli, Lin Gui Sheng (Stanislas Lin- Splingaerd) qui se tient modestement à l'écart
Photo studio Sze-Yuen-Ming - Shanghaï - 1896

LE RETOUR SUR LA COTE

Après ce long épisode de sa vie aventureuse, en 1895 (ou peut-être plus tôt), il expédie via Catherine (il était à cette période en mission dans le Xinjiang) ses 9 filles (sa fille Suzanne, née en 1878 décèdera à Shanghai du choléra la même année et Maria est née et décédée en 1882) et ses trois garçons à Shanghai chez les Dames Auxiliatrices et les Frères Maristes qui venaient d'ouvrir un collège pour les garçons, pour que l'on s'occupe de leur éducation de manière plus européenne car leur langue maternelle était évidemment le chinois, en tous cas celui de leur mère Catherine. Pour se rapprocher des siens (il fallait environ trois mois de voyage pour revenir sur la côte), après plus de quatorze ans de douane, Detring lui trouve un emploi de conseiller aux charbonnages de Kaiping, à 150 km au nord de Tientsin (Tianjin). Le dirigeant chinois de cette industrie était à la solde du vice-roi Li mais les administrateurs belges comme Albert Thys et plus tard Emile Franqui étaient des proches du roi Léopold II de Belgique. En fait, il est probable que le poste de douane fut fermé et ne se justifiait plus. Un nouvel épisode de sa vie, la plus variée, va s'ouvrir. Splingaerd est devenu l'européen incontournable pour les étrangers qui se présentent en Chine. Nul ne connaît la Chine et les Chinois mieux que lui. Nul ne connaît mieux leurs habitudes, leurs différents langages. En quelques années, il sera au sommet de sa carrière et prend peu à peu de l'assurance. Sa santé commence à lui causer des soucis mais il reste vigoureux. Son caractère va également changer et il commence à négocier pour lui-même. Les dix années qui vont suivre vont être fantastiques et il va mettre à profit toute son expérience du monde chinois.


Dès 1897, il est appelé à Shanghaï par le colonel belge Gaspart Fivé, pour servir d'interprète entre les autorités de Pékin et la seconde mission Dufourny et il obtient des facilités de sa direction pour y participer comme cela sera le cas pour beaucoup d'autres missions. Il sert alors d'intermédiaire et de négociateur durant les contacts entre le gouvernement chinois et les délégations belges en vue de la construction de la ligne de chemin de fer Pékin-Hankow. Cet ouvrage fut réalisé par Jean Jadot en moins de dix ans et fut une extraordinaire réussite. Le poids que représente la présence de Paul Splingaerd lors des négociations sino-belges se révèle peu à peu. Splingaerd est de plus en plus sollicité. Il participe également à une mission sur le fleuve Jaune avec Li et l'ingénieur belge Armand Rouffart destinée à examiner les possibilités d'endiguer le fleuve qui provoquait périodiquement des inondations mortelles et qui changeait même de lit. Il y a lieu de penser qu'il accompagna également Jadot et le commandant Wittamer pour des missions dont nous n'avons pas de traces précises. Et c'est sans parler d'un certain officier belge conseiller militaire de Yuan Shikai dénommé Jean-Clément Baesens, de qui Paul adopta le fils.

LES ENFANTS AINES

Trois de ses filles entrent dans la congrégation des Dames Auxiliatrices: elles deviendront Mère Saint Jérôme, qui s'occupera plus tard de la fabrication de broderies à Sikawei à Shanghai (décédée en Chine), Mère Sainte Rosa ( se destinait primitivement au Carmel est décédée en Californie) et Mère Sainte Clara enseigneront la littérature européenne dans un institut pour jeunes filles chinoises. La quatrième rejoint également les Dames Auxiliatrices (Anna - Mère Ste-Dosithée). Ces deux dernières furent expulsées de Chine en 1951 et revinrent en France via Hong-Kong; elles prirent leur retraite dans la région parisienne où elles sont décédées. Quant aux garçons, l'aîné sera interprète à la légation de Belgique à Pékin puis conseiller du vice-roi de Lanzhou pendant quelques années, le second travaillera comme agent commercial aux charbonnages de Kaiping qui comptait 5000 ouvriers, le troisième fera une partie de ses études ²²²²²²²²²²²²²²²²²²²à l'Institut St-Boniface à Bruxelles. Ce garçon, John Splingaerd, revint en Chine et, après une intéressante carrière aux chemins de fer chinois puis à la compagnie CTET, est décédé en 1948 après deux mariages sans enfants.

LA REVOLTE DES BOXERS ET LES MISSIONS

 

 

Il faut souligner que les relations d'amitié que Splingaerd entretenait à travers tout le Céleste Empire ont rendu d'innombrables services tant aux Scheutistes qu'à la Belgique. Le roi Léopold Il lui-même fit appel à lui quand il entra dans ses vastes projets de créer une colonie en Chine, une idée qui rencontra l'opposition des puissances étrangères et la méfiance des Chinois. C'est ainsi qu'il devint Commissaire du Congo belge en Chine pour une période de cinq ans (à partir du 17 février 1900). Il devint également un des premiers chevalier de l'Ordre de la Couronne nouvellement créé. Pour ne pas être en reste, Li Hongzhang le porta au sommet du mandarinat civil en lui accordant le bouton rouge (mandarin de premier rang). Le colonel Fivé avait proposé au roi Léopold Il d'utiliser les Scheutistes dans le cadre de la colonisation du Gansu. Ils recevaient des subventions en échange des renseignements qu'ils pouvaient fournir car ils connaissaient bien le terrain. Ils achetaient des terres qu'ils pouvaient occuper pour l'établissement de leur chrétienneté en attendant leur exploitation. Lors de leur première mission, Splingaerd devait servir de guide et d'interprète au lieutenant au talent d'ingénieur Ledent et au sous-lieutenant Lambert qui cherchaient des sites exploitables. Ce fut un échec en raison d'une mauvaise préparation, de la révolte des Boxers et des divergences de vues entre Ledent et Splingaerd (on nous a relaté une bagarre entre les deux). En fait, nous savons que Paul Splingaerd ne supportait pas l'attitude des délégués vis à vis des chinois. Il leur sauva cependant la vie. Donc en 1900, Paul participe à la mission d'exploration belge Fivé avec son fils Remy comme guide et interprète. C'est déjà à cette époque, via Splingaerd, que les délégués Belges négocient avec le vice-roi des possibilités qu'ils auraient de construire un pont métallique sur le Huang-He (fleuve Jaune) à Lanzhou. Ce projet restera encore quelques années dans les cartons et les Belges n'y seront jamais impliqués. Ils entreprennent plusieurs missions d'exploration dans le Gansu lorsqu'éclate la tourmente des Boxers qui sèment mort et désolation en Chine en s'en prenant particulièrement aux étrangers, aux religieux et aux Chinois chrétiens. Paul sauve la mission en conduisant les Belges vers le transsibérien après avoir traversé le désert du Gobi aidé par les missionnaires et son ami de longue date le prince mongol Alashan Wan. La presse mondiale annonça la mort de Splingaerd et accessoirement du colonel et de la mission. Suit alors un séjour forcé à Ourga (Oulan Bator), capitale de la Mongolie extérieure où il attend dans une certaine crainte et indécis des instructions avec son fils Remy (il avait laissé Catherine et les jeunes filles à Lanzhou sous la protection de la famille Zhang et du vice-roi). A partir de cette époque, Paul ne semblait plus être en phase avec ses commanditaires. Il voulait recevoir ses directives directement du ministre. Les premiers signes de la dégradation de sa santé apparaissent et il laisse pousser sa barbe.

En 1901, alors que les alliés ont stabilisé la situation, on lui propose une mission qu'il n'acceptera pas immédiatement. Finalement, il est nommé général de brigade par le gouvernement de Pékin suite à des accords avec les alliés. Paul Splingaerd, muni des pleins pouvoirs militaires et judiciaires, sillonne la Mongolie centrale et celle du sud-ouest qu'il connait bien, avec comme mission l'évaluation des dommages dus à la guerre civile et également de récupérer, par menace ou négociation, les jeunes filles enlevées par les bandits chinois et vendues aux musulmans. Il ira pour cela jusqu'au Turkestan. Il protège efficacement les membres du clergé contre les exactions des bandits non soumis. Ses pouvoirs sont à la fois militaires et judiciaires et agit en qualité de juge fédéral. Lorsqu'il a jugé ou bataillé, il remet les délinquants à l'autorité civile compétente. Les religieux établis en Chine à cette époque lui doivent beaucoup et ils le reconnaissent.

APRES LA REVOLTE DES BOXERS

En 1901, la mort du vice-roi Li prive Paul Splingaerd d'un allié et ce décès, survenant peu après la révolte des Boxers, permet d'obtenir que le " mandarin belge chante un ton plus bas "... C'est ce que certains ont dit mais dans la réalité, il semble que Paul n'ait plus eu besoin de Li (qui était de toute façon tombé en disgrâce) car il avait maintenant un nom, une notoriété; il a déployé une forte activité entre 1901 et 1906 malgré une santé déclinante. Splingaerd joua un rôle important, en 1902, dans les négociations visant à indemniser les missions étrangères mises à mal par les Boxers. Ces négociations et ces compensations, qui furent plus tard jugées ultérieurement exagérées, eurent une influence fondamentale dans les relations qui s'établirent entre la Belgique et la Chine dans la période entre les deux guerres, sans compter l'établissement de la concession belge de Tientsin et des territoires donnés aux scheutistes en compensation de leur préjudice causé par les Boxers.

 

Paul Splingaerd en 1906

Le mandarin Lin Fuchen (Paul Splingaerd) en 1906)

AU GANSU

Après cette époque notre mandarin conduisit une dernière mission avec Fivé (1903) pour inspecter le Gansu et qui ne se revella pas plus productive que les missions précédentes, il se vit offrir un renouvellement de son contrat comme commissaire qui le mettait à la merci d'un simple officier ou ingénieur belge. Mais il appert qu'il n'ait pas signé ce contrat de mars 1905 qui prévoyait qu'il serait rémunéré de 7000 francs plutôt que 16000 francs belge (voir ses lettres). En outre, les officiers étant retournés en Belgique, il devait recevoir ses ordres et ses indemnités des CICM lesquels semblaient rechigner pour le payer sous prétexte que les missions avaient besoin d'argent et que Chang I-mao, le dirigeant chinois des mines de Kaiping, lui donnait encore 800 francs, ce qui n'est pas certain. Mais Paul avait également besoin d'argent, lui qui avait encore en charge de jeunes enfants. Il estimait n'avoir pas été défrayé de ses frais de certaines missions. Ce sont sans doute ces différentes raisons qui résolurent Splingaerd à prendre son indépendance et de se stabiliser à Lanzhou où il devient le conseiller du vice-roi. Dès lors, il s'occupe de tout ce qui peut être considéré comme développement pour la ville ou la province. Il est question de projets extrêmement ambitieux comme la distribution de l'eau ou le réseau d'égouttage et encore d'autres travaux. Et en fin 1905, Splingaerd persuade le Taotaï PENG et le gouverneur d'utiliser des ingénieurs belges plutôt que d'autres et est missionné pour se rendre en Belgique afin d'en recruter et d'en ramener (pour les usines de sucre, organisation et exploitation des mines d'or et de cuivre, recherche de sources de pétrole, de terrains à betteraves dans le Gansu, remise en service de la fabrique de drap abandonnée, mais il n'est question nulle part de la construction d'un pont à construire sur le fleuve Jaune.

RETOUR EN BELGIQUE

Fin 1905, il embarque sans Catherine et sans délégation, avec son fils Jean-Baptiste (qu'il mettra en pension pour un temps indéterminé à l'Institut Saint Boniface de Ixelles) pour cette mission relativement confidentielle et de nature commerciale. Lors de son séjour, on dit qu'il essaye de voir le roi Léopold II, ce qui fut annoncé dans la presse, mais ce dernier aurait refusé de le recevoir sans doute dit-on à cause des rapports peu amènes de Fivé dont la mission en Mongolie avait été un fiasco. Il n'existe aucun document prouvant que Splingaerd ait tenté de voir le Roi.

Revirement spectaculaire dans le comportement du colonel qui comptait primitivement donner le poste de vice-gouverneur du Gansu au célèbre Belge à l'époque où les Puissances pensaient pouvoir faire main basse sur la Chine. Mais ces raisons ne sont sans doute qu'apparence car le Roi avait fort à faire, accablé par la pression internationale qui l'accusait de génocide et mettait un point final à ses ambitions hégémoniques: Splingaerd arrivait trop tard avec ses projets, le Roi ne s'occupant plus que de sauvegarder les intérêts qu'il avait déjà en Chine. Léopold II, avant de céder le Congo à la Belgique, brûle dit-on une partie des archives du Congo qui lui restaient en août 1908 et nous ne saurons peut-être jamais quels ont été ses rapports ou correspondance avec le mandarin belge, encore que sa correspondance privée n'a pas été affectée par cet autodaffé. Mais il est clair qu'une entrevue avec le roi lui aurait fait une excellente publicité à l'heure où il cherchait des introductions auprès des industriels et des financiers pour ses projets personnels dans le Gansu. Il en trouvera auprès du Ministère des Affaires Etrangères pour ce qui concerne le personnel à engager. Mais cette histoire de rendez-vous avec le Roi ne repose sur aucun document connu et est à classer dans les légendes. Comment voulez-vous que le Roi soit intéressé par une ville chinoise qui était loin de tout, sans chemin de fer et sans voie naviguable. Cette histoire de pont est également à classer dans les légendes, Paul Splingaerd n'étant pas du tout mandaté pour négocier quoi que ce soit concernant ce projet. Il suffit de lire son contrat.

DECES

Après avoir effectué de nombreuses visites privées et professionnelles, Paul Splingaerd revient en 1906 en Chine en bateau avec les spécialistes Muller (industrie textile), Tysebaert (construction mécanique et pétrole) et Geerts (géologue, chimiste et pédagogue). Mais épuisé par ses maladies et son voyage, il décède à Si-Ngan-Fou (Xi'an) le 26 septembre 1906, sur la route du Gansu où il se dirigeait avec sa femme, probablement d'un coma diabétique dans une institution chrétienne, après avoir vu pour la dernière fois ses enfants à Shanghai, à Tientsin et à Pékin. Prévenu de l'état désespéré de Paul, son fils aîné Alphonse Bernard qui travaillait à la légation belge de Pékin comme élève interprète vint le rejoindre à cheval pour son agonie et reçu ses dernières instructions qui étaient claires, à savoir s'occuper de sa famille en tant qu'aîné et peut-être poursuivre son œuvre dans le Gansu. Il ramènera le corps du général, sa mère et les jeunes filles qui l'accompagnaient à Pékin après avoir conduit les ingénieurs belges et leur matériel auprès du vice-roi à Lanzhou. Plébicité par les locaux pour qu'il remplace son père dans sa mission, Alphonse s'établira l'année suivante dans la capitale du Gansu avec toute sa famille pour y remplacer son père et établira à son tour un contrat avec le gouvernement provincial.

Et celui que Mgr. Otto qualifia de Marco Polo belge, Ling Darin 林大人, eut sa tombe près de celles de Matteo Ricci et de Ferdinand Verbiest (autour de l'église de Chala, à Pékin). Sa femme l'y rejoignit en 1918. Son emplacement exact est aujourd'hui inconnu, le monument ayant été détruit.

SA FAMILLE APRES LE DECES

Les quatre filles de Paul et de Catherine qui n'entrèrent pas dans les congrégations religieuses épousèrent quatre spécialistes belges, Jean-Jacques MULLER, ingénieur textile qui accompagnait Paul lors de son décès, Albert PATERNOSTER, comptable, Robert VAHRENKAMPF ingénieur chimiste et Louis CASTAIGNE également ingénieur chimiste qui revinrent progressivement en Belgique avec leurs familles, en fonction de leur contrat.

Quant à Catherine, la veuve du général, elle fut prise en charge la dernière partie de sa vie par sa fille Lucie et son beau-fils Albert Paternoster qui résidaient à Tientsin. Albert, chef comptable, était un des hommes le mieux payé de la société où il travailla de nombreuses années, la Compagnie de trams et d'électricité de Tientsin (CTET). Catherine est morte en 1918.


La statue de Lin Fuchen à Jiuquan (Gansu). On traduit la dédicace par "Splingaerd (1842-1905) citoyen belge, de nom chinois Lin Fu-Chen fut nommé par Li Hong Zhang pour être le premier commissaire des douanes de Su Zhou. De 1882-1896, il a été commissaire pendant 14 ans. Il était propre et juste dans ses rapports et a également eut des connaissances de la médecine étrangère, il était en charge du bureau de vaccination de la petite vérole pour le peuple de Su Zhou, sans cesse il a traité les pauvres gratuitement. Aux yeux du peuple de Su Zhou, il était un officiel du Gouvernement bienveillant et le peuple lui a donné une ombrelle des Dix Mille Noms en soie fine, les mots inscrits sur l'ombrelle donne la description de sa bienveillance. En 1892, il a commencé l'église catholique de Jiuquan. (Écrit par l'Histoire générale de Jiuquan)."

 

L'histoire du 'Mandarin blanc' d'origine belge a été particulièrement bien étudiée par Jozef SPAE, "Mandarijn Paul Splingaerd", (en néerlandais) in Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer, Classe des Sciences Morales et Politiques, Mémoires in-8° Nouvelle Série, Tome 49, fasc. 1, Bruxelles, 1986.

Mais une très grande quantité d'historiens, de chroniqueurs, de religieux, de militaires, d'attachés de légation ont parlé en leur temps de Paul Splingaerd, non seulement pour ses qualités d'interprète, mais également pour son altruisme, son sens de la communication et de la négociation, sa bonne humeur. Une riche bibliographie l'en atteste.

 

signature paul splingaerd

Un autre livre biographique sur le sujet a été publié (anglais). C'est le document le plus complet sur la vie de Paul Splingaerd

THE BELGIAN MANDARIN

écrit par Anne Splingaerd Megowan, descendante directe de Lin Fuchen. Un trésor familial mais également un document extrêmement intéressant pour tous ceux qui s'intéressent à la présence belge en Chine au tournant des 19 et 20 ème siècles.

Il existe des possibilités non commerciales pour obtenir la version française de son oeuvre pour autant que l'on ait à disposition la version anglaise.

cliquer ici pour en savoir plus sur le livre et l'auteur

Vous trouverez un complément d'informations biographiques et bibliographiques en cliquant sur ce lien, la page de Wikipédia sur Paul Splingaerd où votre webmaster a été le principal contributeur.

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