LA BELGIQUE ET LA CHINE

RELATIONS DIPLOMATIQUES ET ECONOMIQUES (1839-1909)

Par J.-M  Frochisse, S. J., docteur en Sciences politiques et sociales

L’EDITION UNIVERSELLE, S. A.

55, rue Royale, Bruxelles

(1937)

EXTRAITS

Page 220, 221 et 222

…. Les premiers belges qui, au XIX e siècle, parviennent jusque-là [dans le Kan-sou], sont les missionnaires de Scheut. Mgr F. Hamer, le premier évêque du Kan-sou, et les Pères Alb. Gugly et L. Van Ostrade y arrivent en 1879. Trois ans plus tard, un autre Belge les y rejoint : Paul Splingaerd, nommé percepteur des douanes à Sou-tcheou (Suchow), une « oasis de grand commerce avec les Mongols » sur la route du Sin-kiang. Celui qu’on appellera bientôt « le fameux mandarin belge » réside pendant quatorze ans au Kan-sou. Ses études linguistiques, ses voyages à travers le Kan-sou qu’il parcourt et explore méthodiquement, ses fonctions mêmes lui valurent d’acquérir une connaissance très poussée de tout ce qui concerne cette province. Aucun européen n’est, à cette époque, mieux renseigné que le fonctionnaire des douanes sur les richesses naturelles du Kan-sou. Or cette province, qui aurait pu devenir une des contrées les plus florissantes de la Chine, abandonnée à son isolement, n’intéresse guère le gouvernement de Pékin.. . . . . . . . .

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Le roi [Léopold II] songe tout d’abord à reprendre les travaux d’étude, abandonnés depuis le retour forcé de la mission Fivé ; mais il entend surtout occuper la place. Il sera servi par le plus habile des auxiliaires, l’homme le plus qualifié pour intervenir de façon décisive auprès des autorités chinoises. Paul Splingaerd, alors général de brigade, - nous sommes en 1905, - s’arrête au Kan-sou, au retour d’une expédition militaire qu’il a conduite en Mongolie. Il arrive à Lan-tcheou fou au moment où le vice-roi est importuné par les instances des agents des compagnies anglaises, qui veulent des concessions. Le général de brigade, mis au courant des démarches qui ont lieu, prend aussitôt la défense des intérêts belges menacés. La vieille amitié qui l’unit au vice-roi Peng, son passé, la haute dignité dont il est revêtu, ajoutent du poids, nous voulons le croire, aux arguments qu’il développe pour faire agréer les services de ses compatriote. Il réussit, non seulement à évincer les Anglais, mais à convaincre Peng qu’il lui faut adopter un vaste programme de transformations pour les industries naturelles du Kan-sou. Ainsi, une ancienne fabrique de draps, montées par les Allemands, mais qui a périclité sous la direction peu habile des Chinois, sera remise en activité. On construira un nouveau pont sur le Hoang-Ho. Des prospections minières, le traitement métallurgique des minerais, des travaux d’égouts, l’installation d’une distribution d’eau à Lan-tcheou fou, la question de la navigation à vapeur sur le Fleuve Jaune, seront autant de problèmes mis à l’étude. Finalement, Splingaerd quitte Lan-tcheou fou avec une mission confidentielle et de pleins pouvoirs pour recruter des techniciens.

………

[Splingaerd revient de Belgique avec Muller, Geerts et Thybaert et meurt à Xian-1906]

……….

[les ingénieurs belges arrivent à Lanzhou conduits par Alphonse Splingaerd]

……….

Pour le reste, le vice-roi compte sur eux et il leur est permis de se mettre aussitôt à l’œuvre.

A la fin de 1907, la colonie belge de Lan-tcheou fou reçoit de nouveaux membres. Ce sont d’abord M. Alphonse Splingaerd et sa famille, puis deux Belges qui ont fait partie de la garde de la légation à Pékin. Ils seront bientôt suivis par M. Albert De Deken, ingénieur, puis, en automne 1908, par une équipe de contremaîtres drapiers et un mécanicien, tous de Verviers. Ces derniers viennent remettre en marche la fabrique de draps construite par les Allemands pour le compte du vice-roi Tsouo Tsong-t’ang, et qui a été laissée à l’abandon. Dès la fin de 1909, l’activité déployée par ces quelques hommes a déjà obtenu d’étonnants résultats. Restaurée et pourvue d’un matériel moderne importé de Belgique, la fabrique de draps emploie, dès 1910, quatre-vingt ouvriers. Le drap chinois qu’elle livre est vendu dans un dépôt officiel, situé dans la rue principale de Lan-tcheou fou, près du yamen du vice-roi.

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Dans un vieux quartier musulman de Lan-tcheou fou, les Belges montent une savonnerie et une fabrique de chandelles. Des prospection, conduites avec méthode, ont découvert de nombreux gisements d’or, de cuivre, de fer, et repéré dans plusieurs rivières, des alluvions aurifères. On commence d’exploiter ces richesse par les procédés de l’industrie européenne, en montant successivement deux usines : l’une pour la fusion des minerais de cuivre au water-jacket, complétée par le traitement des mattes par bessemerisation , et l’autre pour le traitement mécanique et chimique des minerais aurifères mixtes. A. De Deken, chargé de la direction des entreprises minières et métallurgiques, rencontre de grosses difficultés. D’abord installée à Ho-si t’an, au sud de Kou-lang, dans la partie orientale des monts de Richthofen, - c’est une région où le minerai de cuivre est excellent, - l’usine y souffre d’une véritable disette de charbon. L’approvisionnement en combustible y est si malaisé, qu’il faut se résoudre à abandonner la place. Les machines sont donc démontées et transportées à Jao-kai (Jao-Kian ou Yao-Kai). On a choisi ce centre houiller parce qu’il fournit une houille très pure, bien supérieure à celle des régions de Lan-tcheou fou et de Liang-tcheou. Les charbonnages de Jao-kai datent de la dynastie de Ming, qui s’éteignit en 1644. Ses gisements doivent être classés parmi les plus riches du monde. La houille ne s’y présente point en veines, mais en amas compacts. Pourtant, à côté de ces avantages, que d’inconvénient ! Jao-kai, situé sur la rive gauche de la rivière Ta-t’ong-ho, « enclavé dans un enchevêtrement de hautes montagnes », semble ne pouvoir jamais être desservi par un chemin de fer. En 1908, une seule route part de Jao-kai dans la direction de P’in-fan. Isolé et dépourvu de moyens de transport, le nouveau centre métallurgique peut-il prospérer ? Le cuivre manque d’ailleurs dans le voisinage immédiat de Jao-kai : il faut l’y apporter d’une distance de dix à vingt lieues.

Les désagréments auxquels on a voulu échapper en quittant Ho-si t’an, se représentent ici avec une gravité toute pareille. Néanmoins, l’usine entre en activité, le 26 août 1909 ; ce ne sera pas pour longtemps. Jamais, paraît-il, l’approvisionnement en matières premières ne fut suffisant pour le fonctionnement normal et régulier de l’exploitation. L’extraction du minerai est beaucoup trop lente, les Chinois ne disposant que d’un outillage primitif. Puis, souvent on envoie à l’usine, sans aucun discernement, des pierres qui ne contiennent que peu de cuivre ou pas du tout. Or, celle-ci est équipée pour produire environ 1.500 kilos de cuivre par jour, si bien qu’elle absorbe en deux ou trois jours tout le minerai qui lui est apporté en un mois.

Le traitement des quartzs aurifères n’est pas plus rémunérateur car, de ce côté également, l’arrivage des matières premières est insuffisant. Cependant l’or ne manque pas au Kansu, comme nous l’avons remarqué déjà. « Sur le versant des monts de Ta-t’ong (Ta—t’ong-chan), à l’ouest de la province, il y a de vastes placers où les pépites abondent. ». D’aucuns prétendent même que le Kansou est aussi riche en or que le Klondyke.

Ces débuts laborieux n’avaient pas découragé le directeur des usines de Jao-kai, du moins à l’époque où il écrivait l’article que déjà nous avons cité, c’est-à-dire vers la fin de 1909. Il y disait son ferme espoir dans le développement des industries extractives et métallurgiques du Kan-sou, qui lui semblait « devoir jouer bientôt un certain rôle économique » dans le vaste empire chinois. L’admiration étonnée d’un correspondant du Times, le Dr Morrison, s’était plu également à louer les résultats obtenus, par les Belges, dans cette contrée lointaine.

L’effort financier, indispensable à la création des établissements industriels, avait été supporté par les Chinois et en particulier par le trésor provincial. Sans avoir dû, cette fois-ci, y consacrer des capitaux, la Belgique, comme l’avait prévu Splingaerd, bénéficia de la présence même des ingénieurs belges sur les chantiers du vice-roi. Elle reçut en effet d’importantes commandes de matériel.

Mais toutes ces innovations furent-elle plus qu’un commencement ? « Le terrain est à peine débroussaillé », écrit De Deken en 1909 ; et il envisage tout un programme de travaux d’utilité publique, puis la création de diverses industries, qui tireront parti des ressources naturelles de la contrée. Il y a place, au Kan-sou, pour de nombreuses manufactures. Plusieurs projets nouveaux sont à l’étude, d’autres n’attendent que l’approbation de l’entreprenant vice-roi  pour être mis à exécution.

De Deken aurait-il manifesté un pareil optimisme un an plus tard ? Jamais, comme nous l’avons dit, on ne parvint à coordonner les diverses activités qui auraient assuré aux entreprises métallurgiques un rendement normal. La révolution de 1911 leur porta un coup fatal. Après le départ des cinq européens à l’automne de cette année-là, tous les ouvriers chinois furent congédiés et « la magnifique usine » laissée à l’abandon. Pour le P. Van Belle, ces troubles sauvèrent Jao-kai «  en offrant aux directeurs chinois de l’affaire, un moyen de mettre un terme à ces gâchis ». Jugement un peu simpliste, à moins que ce ne soit qu’une boutade !... N’y avait-il donc vraiment aucun espoir de réfréner les désordres qui nuisaient si gravement au rendement de l’entreprise ? On a peine à l’admettre.

Au Kan-sou, les Belges s’occupèrent aussi d’enseignement. M. Robert Geerts avait ouvert, à côté de l’usine de Jao-kai, une sorte d’école de chimie industrielle, où il espérait former les futurs techniciens des usines de la région. A l’école supérieure du Gouvernement, le cours de français était donné, en 1910, par un professeur qui fit merveille, le P. Van Dyck, d’Anvers, missionnaire de la Congrégation de Scheut. La connaissance du français était fort appréciée dans cette lointaine province de la Chine. On le considérait comme la langue aristocratique par excellence. Aussi le P. Van Dyck compta-t-il parmi ses élèves, les fils du vice-roi et d’autres fonctionnaires importants. Plusieurs des confrères du P. Van Dyck, qui vinrent évangéliser le Kan-sou, acquirent par leurs travaux de linguistique et d’ethnographie une réputation méritée de véritables savants.

Signalons encore, dans l’ordre des travaux scientifiques, les explorations de M. Albert De Deken, qui étudia le Kan-sou au point de vue minier et « peut faire autorité en pareille matière ». M. Robert Geerts, ingénieur-conseil et chimiste du vice-roi du Kan-sou (tels étaient, en 1910, les titres officiels de notre compatriote), eut la bonne fortune d’être envoyé par le vice-roi en mission spéciale au Tibet. Il parcourut donc « avec toutes les facilités possibles » une région qui, à ce moment, était à peine explorée. Il rapporta de ses rencontres avec les nomades

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et de ses pérégrinations dans le « Pays interdit » des observations qui, en leur temps, offrirent un réel intérêt. Les beaux ouvrages de Sven Hedin, d’Alexandra David Neel, et de Georges de Roerich, pour ne citer que les plus connus, ne nous avaient pas encore apporté sur le « Tibet interdit » une documentation abondante.

Notes : R . Geerts, « Chez les nomades du Tibet », dans le Bulletin de la Société belge d’études coloniales, avril 1909, p. 314. L’article compte 8 pages et 6 clichés.

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RELATIONS DIPLOMATIQUES ET ECONOMIQUES (1839-1909)

Par J.-M  Frochisse

Je remercie Anne Splingaerd Megowan de m’avoir fourni la présente documentation

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Christian Goens - La Louvière - Belgium - décembre 2009 - tous droits réservémai 17, 2018 --> -->