Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer
Biographie Belge d'Outre-Mer,
T. VII-B, 1977, col. 348-351

SPLINGAERD (Paul)


SPLINGAERD (Paul), Auxiliaire des missions, Officier des douanes, Mandarin et général de brigade (Bruxelles, 12.4.1842 – Si-ngan fou, 2.9.1906).
La carrière de Paul Splingaerd est une des plus étonnante qui soit. Issu d'une famille bruxelloise très modeste, il avait à peine fréquenté l'école primaire. Malgré un manque presque total de scolarité, il s'agissait d'un garçon extrêmement intelligent, doué d'une mémoire extraordinaire et doté d'une faculté peu commune pour apprendre les langues à l'ouïe. Le 25 août 1865, Paul Splingaerd part pour la Chine comme auxiliaire des missions; il accompagne le Père Verbist qui allait fonder dans l'Empire du Milieu les nouvelles missions belges. En effet, un décret de la Propagande du 1er septembre 1864 venait de confier l'immense Mongolie aux Scheutistes. Le jeune domestique séjourne à Siwantze, au nord de Kalgan; là, il étonne ses supérieurs par son don des langues. Il traduit à la volée du néerlandais en mongol et, à l'âge de trente ans, il connaît le néerlandais, le français, l'anglais, l'allemand et s'en tire également en russe, en mongol et en turc. Après le décès du P. Verbist en 1868, il quitte la mission et travaille au service de la Légation d'Allemagne à Pékin où il rendit de très grands services. On signale que des missions très délicates lui furent confiées et que
plusieurs fois, par son sang-froid, il échappa à un péril imminent de mort.
Un nouveau changement allait survenir dans son existence avec l'arrivée du savant géologue allemand baron von Richthofen. Ce dernier, de 1869 à 1872, accomplit sept voyages d'exploration à travers diverses provinces de Chine. Il servit de guide et d'interprète au savant au cours de ses pérégrinations car, en peu de temps, il arrivait à comprendre et à s'assimiler les dialectes chinois des différentes régions traversées. Von Richthofen ne tarit pas d'éloges au sujet de son compagnon et guide dans le récit de ses explorations. Il loue son courage et son habileté qui tirèrent plusieurs fois le petit groupe d'exploration de situations délicates et périlleuses. Un jour, avec un révolver de pacotille, Splingaerd réussit à mettre en fuite une horde de brigands qui s'apprêtait à les attaquer.
Le comte de Rochechouart, chargé d'affaires de France à Pékin, signale également des actes de courage identiques à l'actif de ce valeureux pionnier de la Chine.
Après le départ de von Richthofen, Splingaerd reprend sa vie d'aventure et s'associe à un commerçant allemand, Groesel; il s'établit à Kalgan, puis à Koei-hoa-tcheng, la Ville Bleue, près de la frontière mongole. Il achète aux tribus des steppes de la laine, du duvet, du cuir qu'il revend avec de bons bénéfices à de grosses maisons d'exportation, installées en Chine. II fait des affaires brillantes, mais sa trop grande générosité et la trop grande confiance dans ses adjoints absorbent tous ses bénéfices et il liquide ses affaires.
Il se lie d'amitié avec l'Allemand Detring, un homme bien en cour auprès du vice-roi Li-Houng-Tchang; cela lui vaut d'être nommé, en 1881, mandarin et percepteur des douanes à Suchow, une ville située à l'extrême ouest de la lointaine province du Kansou. Suchow était la « porte de jade », clef de l'étroit défilé donnant accès au Khotan. En fait, sa charge n'absorbe pas très fort Splingaerd qui en profite pour parcourir en tous sens le Kansou et il se lie d'amitié avec les populations auxquelles il rend de nombreux services. Il obtient, notamment, de grands succès comme guérisseur. A Suchow, il occupait une fort belle maison à laquelle il avait adjoint une chapelle catholique. Pendant quatorze ans, Splingaerd séjourna dans cette province pratiquement restée isolée du reste de la Chine. Mais en 1873, il avait épousé une Chinoise, Catherine, de religion chrétienne, dont il eut douze enfants. Lui, qui était resté illettré, avait le souci de donner à ses enfants une éducation soignée à l'européenne.
Cela l'incita à quitter le Kansou en 1895 et à se rapprocher de la côte où existaient des établissements européens. Grâce à son ami Detring, il obtint un emploi aux charbonnages de Kaiping et c'est ainsi qu'il entra pour la première fois en contact avec des ingénieurs belges qui œuvraient en Chine. En 1897, on le trouve comme interprète de la mission Dufourny venue pour discuter la signature du contrat pour la construction de ligne de chemin de fer Pékin-Hankow.
Dans la suite, on le retrouve servant de guide et d'interprète à diverses missions d'exploration belges qui se rendirent au Kansou. En 1898, on le trouve avec l'ingénieur Rouffart, du groupe Empain, qui explore la vallée du Yang-tze-kiang, le Fleuve Jaune; en 1899, il sert de guide au commandant Wittamer, qui explore le Kansou pour compte du groupe Cockerill-Couillet-Meuse; en 1900, il est au service du colonel Fivé, en mission pour l'Etat Indépendant du Congo.
En 1898, alors que le comte d'Ursel n'arrivait pas à se faire recevoir par le vice-roi Li-Hung-tchang, il eut recours à Splingaerd pour vaincre la résistance du Chinois. Ce dernier, lassé de l'insistance de Splingaerd, lui lance: « Après tout, vous autres Belges, ne représentez qu'un Etat minuscule ». Saisissant la balle au bond, le Belge répondit: « Précisément, je comparerais la Belgique au bijou que vous portez sur votre bonnet; cette pierre est minuscule, elle aussi, mais elle a grande valeur. Ainsi en va-t-il de mon pays ». Ce que le talent du diplomate n'avait pu arracher, le bon sens de l'homme du peuple l'avait obtenu et le comte d'Ursel fut reçu par le vice-roi.
Malgré les charges importantes qu'il avait exercées et les missions délicates qu'il avait accomplies, la formation de Splingaerd était restée toujours aussi rudimentaire et le baron de Vinck des deux Orp écrivait à son sujet, en janvier 1899, qu'il était presque illettré; cependant, il pourrait servir dans les négociations faisant suite à la mission Rouffart, mais on devait absolument lui adjoindre un ingénieur. Sa trop grande bonté et ses largesses inconsidérées attiraient autour de lui certains aigrefins européens et il fut très reconnaissant envers le commandant Wittamer qui le mit en garde contre certains particulièrement indélicats qui l'exploitaient.
Le Kansou était une immense province vers laquelle Léopold II envoya de nombreuses missions, car elle s'était révélée très riche en minerais divers; il fallait cependant absolument la relier vers un port par un moyen de communication économique. Le groupe Empain aurait pu s'intéresser à créer un chemin de fer et Wittamer avait étudié le Fleuve Jaune qui s'était révélé impropre à la navigation. Lorsque la révolte des Boxers éclata en 1900, les missions belges durent quitter précipitamment le Kansou.
Léopold II, après la pacification de 1901, voulut faire reprendre les travaux d'exploration au Kansou et occuper sérieusement cette province. Pour cela, il lui fallait un homme ayant l'oreille des Chinois et on songea tout naturellement à Paul Splingaerd. Entre-temps, il était devenu général de brigade et, en 1905, revenait au Kansou, retour d'une expédition militaire qu'il avait menée en Mongolie.
A son passage à Lantcheou-fou, le vice-roi Peng était importuné par les démarches des Anglais qui essayaient d'évincer les Belges. Splingaerd réussit à faire éliminer les Anglais et à les faire remplacer par les Belges. Il réussit à convaincre Peng d'adopter un vaste programme d'explorations minières et d'industrialisation du Kansou. Il remit en route une usine de drap abandonnée, fit construire un pont sur le Hoang-Ho et il persuada de faire mettre à l'étude une série de problèmes tels que la construction d'égouts à Lantcheou-fou, l'installation de la distribution d'eau, l'érection d'usines pour le traitement des minerais, la navigation à vapeur sur le Fleuve-Jaune. Splingaerd quitta la capitale du Kansou, nanti des pleins pouvoirs pour recruter ingénieurs et techniciens. Il arriva à Bruxelles en janvier 1906; il y avait quarante et un ans qu'il n'avait plus vu le pays. Son retour fit sensation d'autant plus que, bien que sa mission fût confidentielle, il se promenait en uniforme moderne de général chinois. Après avoir recruté des spécialistes, dont l'ingénieur chimiste R. Geerts, l'ingénieur de l'industrie textile J.-J. Muller et un ancien conducteur des travaux du Pékin-Hankow M. Thysbaert, il reprit la route de la Chine.
Mais Splingaerd avait abusé de ses forces et il mourait le 26 septembre 1906, dans la capitale du Chen-si. Sa perte constitua un handicap certain pour les missions commerciales et industrielles venues de Belgique et œuvrant en Chine.

13 avril 1975.
A. Lederer.
Bibliographie: Wittamer, A.: Odyssée en Chine, Bruxelles,
1939 (ouvrage stencilé en 25 exemplaires). —
Frochisse, J.-M. : l a Belgique et la Chine, 1936. —
A E.B., dossier 2928, II - A.E.B., dossier 2821, VI.

 
   

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