ORAISON FUNEBRE de

Lucien POURBAIX

Magistrat à la Cour de Cassation de Belgique

 

1873-1940

COUR DE CASSATION DE BELGIOUE

Audience du 17 octobre 1940.

M. le Premier Président Jamar fait part du décès de M. le Conseiller Pourbaix. Il s'exprime en ces termes

La Cour vient de perdre un des siens : M. le Conseiller Pourbaix

Encore un deuil ! Ces deuils se succèdent ici hélas! à un rythme douloureux.

Je le disais, il y a quelques jours, en prononçant l'éloge funèbre de M. le Premier Président van Iseghem, chacun s'en va, chaque génération disparaît, le temps emporte tout.

Nous pleurions hier un Premier Président brillant, auréolé des plus éclatantes vertus magistrales. Aujourd'hui, en ce mélancolique automne, nous voyons s'effacer de ce prétoire, où elle nous était depuis six ans familière, la figure sereine d'un Magistrat aimable et bon, distingué et discret. Ses relations avec nous, au cours d'une collaboration empreinte de charme, furent amènes et cordiales.

L'arrivée parmi nous de, M. le Conseiller Pourbaix avait été le couronnement d'une longue et belle carrière. Et si M.Pourbaix se félicitait de son accession à la Cour suprême, il s'honorait surtout d'en avoir été jugé digne par vos suffrages, en récompense de ses brillants états de services.

Dans notre aréopage, ou sont représentées généralement toutes nos provinces, le Conseiller Pourbaix paraissait désigné par ses origines pour nous rapporter les tendances et les évolutions de la jurisprudence dans le Namurois. Mais, né à Namur le 30 mai 1873, M. Pourbaix devait devenir très tôt Hennuyer d'adoption.

Orphelin dès sa prime jeunesse, privé des caresses maternelles et de la précieuse discipline attachée à l'autorité paternelle, Lucien Pourbaix fut élevé dans le Hainaut, par la tante au grand cœur dont il reçut la plus parfaite éducation morale. Un penchant naturel à l'étude favorisa l'épanouissement des belles facultés de son esprit : le jeune homme trouva dans cette ardeur au travail intellectuel la consolation à une nouvelle épreuve : la mort d'un frère, tendrement aimé.

Notre collègue conquit le 4 octobre 1895 le diplôme de docteur en droit. Ce fut le digne aboutissement des plus belles études : Lucien Pourbaix subit l'épreuve du doctorat, avec la plus grande distinction.

Ces succès universitaires, dont on affecte parfois aujourd'hui de minimiser la valeur, ont conservé à nos yeux tout leur prix. Ils sont au moins l'attestation d'une jeunesse studieuse. Ils ne dénotent pas toujours l'esprit d'initiative, élément de succès dans les entreprises hardies de la vie, ni l'habileté dans la recherche des satisfactions et des jouissances d'ordre matériel.

Mais, comme l'a dit un brillant écrivain, " ils sont le réconfort pour tous ceux qui habitent ce que Taine appelait la chère patrie de l'intelligence; pour les champions de la culture et du savoir, pour les hérauts de la vie supérieure de l'esprit et des humanités classiques, sans lesquelles les choses ne seraient, selon le mot du poète, que ce qu'elles sont ".

Lucien Pourbaix s'inscrivit le 28 octobre 1895 au Barreau de Charleroi.

Juge suppléant au tribunal de Charleroi le 16 décembre 1899, il fut nommé substitut à ce tribunal le 11 mai 1900.

Il devait passer vingt années de son existence dans ce Parquet dont il devint le chef le 23 mars 1912. Ce fut à l'âge où l'homme donne précisément toute la mesure de son activité.

Pour suffire à la tâche il faut d'ailleurs, dans un Parquet comme celui de Charleroi, des qualités de vaillance physique peu ordinaires. Le Procureur du Roi, comme le Substitut, sont de garde, de nuit et de jour. Les procès-verbaux affluent. Il faut tout voir, tout instruire, partir en descente, classer ou poursuivre, vaquer aux audiences, se hâter surtout : car le retard, c'est le dépérissement des preuves. Il faut des qualités d'ordre, de méthode, de décision.

Dans ce milieu d'agitation trépidante, de perpétuelle tension d'esprit, parmi une population turbulente, chère à son cœur, mais dont il devait réprimer les écarts, se complaisait Lucien Pourbaix.

Cette petite ville de Charleroi, fondée en fin de XVIle siècle, tant disputée par les Français aux Espagnols et aux Autrichiens, est devenue aujourd'hui le centre d'une vie commerciale et industrielle intense.

Elle n'offre pas le pittoresque de l'Ardenne toute proche, ni de l'Entre-Sambre-et-Meuse, aux contreforts duquel elle s'appuie.

Mais la ville et sa banlieue ont leur poésie, celle du rude labeur d'hommes exposés à des destins tragiques, labeur des ouvriers de la forge et de la mine, immortalisé dans l'œuvre sculpturale de Constantin Meunier, et chanté dans nos vieilles mélopées wallonnes

Pays de Charleroi... Que la Sambre caresse, J'aime les hauts fourneaux

Flamboyant dans la brume... Et le chant des mineurs…..Egayant nos villages

Après leurs rudes labeurs! …Pays de Charleroi,…..C'est toi que je préfère...

Le magistrat carolorégien dut, par un légitime souci d'avancement, s'arracher à son cher milieu, se transporter ici et s'adapter à une vie nouvelle.

Une cruelle épreuve l'y attendait : la perte prématurée de la compagne auprès de laquelle il avait trouvé la joie du foyer.

Dès lors, il se confina, père de famille modèle, dans l'éducation de ses enfants, et, Magistrat, dans le travail calme, mais absorbant, du Conseiller.

Conseiller à la Cour de Bruxelles, le 20 avril 1920, il était nommé par arrêté royal du 16 avril 1934, conseiller à la Cour de cassation.

L'homme de Parquet, appelé jadis pendant vingt ans à scruter les consciences, dans les drames engendrés par le conflit des passions, entrait dans le domaine aride du droit et de l'abstraction.

Sans avoir une vocation spéciale pour rédiger des arrêts auxquels il donnait pourtant une forme impeccable, le Procureur du Roi nous fut surtout précieux dans le délibéré. Ses interventions y attentaient la connaissance, approfondie de l'instruction criminelle, science où ont excellé, les Faustin-Hélie et les Merlin.

La Procédure, science trop méconnue, garantie du Justiciable, est, en matière criminelle, l'arme de l'inculpé contre tout arbitraire.

M. Pourbaix avait pratiqué pendant vingt ans ce vieux Code d'instruction criminelle, dont il connaissait tous les textes et dont il avait pénétré l'esprit. Il était Initié à toutes les controverses de la matière, et nul problème, surgissant dans le délibéré, ne le prenait au dépourvu.

Son activité inlassable et les tristes épreuves de la vie usèrent sa robuste constitution.

Depuis quelques mois nous le vîmes décliner.

Il était visiblement affecté par les malheurs de la patrie.

Et la mort l'a surpris soudain, dans cette demeure du square Ambiorix, où il avait élu domicile, en un endroit des plus charmants de la capitale. Il y étudia, il y médita longuement, ayant devant lui les parterres géométriques et fleuris du joli parc où le décor s'avive de l'éclat de l'eau jaillissante des fontaines.

Mais ces souvenirs, m'ont dit les siens, s'en allaient quand même aux âpres paysages des lieux que la Sambre caresse, au pays des corons et des terrils, des hommes noirs, de cette plèbe résignée à son destin, et au contact de laquelle il avait compris la tragique grandeur des servitudes

Travailleur infatigable lui aussi, il comprenait, certes, à là fin d'une existence à laquelle les épreuves n'avaient pas manqué, toute la vertu du travail, et sans doute pouvait-il dire comme Jules Fabre :" Le travail m'a soutenu, éclairé, consolé. "

Qu'importe, au demeurant, d'inscrire au bilan de son existence une somme plus ou moins grande de félicités passagères ! Il importe, à l'heure fatale, d'avoir ici-bas rempli sa tâche. Il importe pour quelques élus, d'avoir servi un noble idéal.

Aussi, après l'adieu au collègue mourant, m'éloignant de la calme demeure où il s'éteignait doucement,. foulant sous mes pas les feuilles dispersées par le souffle de l'automne, j'éprouvais avec le sentiment des choses finissantes le réconfort d'une existence divinement remplie et dont Lucien Pourbaix laisse en héritage aux siens.

 

M. l'Avocat général Roger Janssens de Bisthoven ayant obtenu la parole, dit

Messieurs

Dans un discours consacré au Magistrat belge, M. le Procureur général Faider ayant cité quelques-unes de ces maximes qui sont, disait-il, comme un évangile pour le juge, rappelait une parole de Bourdaloue; comparant, aux efforts que demande la dévotion la plus fervente, les durs sacrifices qu'imposent plus souvent les devoirs du juge, le grand orateur trouvait finalement dans l'exercice de la Justice par un bon magistrat la perfection du devoir et la dévotion par le devoir. Cette pensée m'est revenue à la mémoire tandis que je considérais la carrière de cet excellent magistrat que fut M. le Conseiller Pourbaix.

C'est surtout à la Cour d'appel de Bruxelles que je l'ai connu. Il y avait apporté la solide formation professionnelle que donne l'exercice des fonctions du Ministère public. Ces fonctions, M. Pourbaix les avait remplies dans des circonstances particulièrement difficiles.

Placé à la tête du Parquet de Charleroi le 23 mars 1912, il devait s'y trouver bientôt en face de problèmes graves et imprévus suscités par la guerre de 1914-1918,

L'arrondissement de Charleroi est un des plus importants du royaume. La charge de Procureur du Roi y est lourde et périlleuse pour la porter avec succès, Il faut Joindre à. une science juridique sûre, et à une conscience droite une sagacité toujours en éveil, une activité incessante, la ferme volonté d'assurer le respect des lois et le maintien de l'ordre par une énergie tenace n'excluant toutefois ni la pondération, ni le sentiment de l'opportunité.

Ces dons, M. Pourbaix les possédait à un degré éminent; ils lui avaient valu un grand prestige personnel, qu'entretenaient une parfaite dignité de vie, une certaine austérité, de caractère, un abord, plutôt distant et qui interdisait la familiarité, mais dont l'aménité trahissait une bonté, délicate.

M. le Procureur du Roi Pourbaix avait tout ce qu'il fallait pour conduire son Parquet à travers la tourmente; il subit avec honneur l'épreuve de la guerre mondiale.

Conseiller à la Cour d'appel de Bruxelles, M. Pourbaix conserva, du Procureur du Roi, la puissance de travail, une remarquable aptitude à extraire la substance des plus volumineux dossiers et un sens psychologique aigu, qu'il appliquait à pénétrer la mentalité des inculpés. Son expérience du Parquet lui avait appris que tout n'est pas dans les dossiers, aussi prêtait-il aux débats une attention scrupuleuse.

Ses projets d'arrêts furent toujours le fruit d'une studieuse méditation.

Lorsque les mérites de M. le Conseiller Pourbaix lui valurent vos suffrages, nul à la Cour d'appel de Bruxelles ne s'en étonna... sauf lui. Car il était foncièrement modeste et c'est encore un aspect attachant de sa personnalité. Certes il se sentait extrêmement flatté de votre choix, mais l'honneur de prendre siège parmi vous lui paraissait redoutable. Il craignait de ne pas pouvoir s'adapter suffisamment à la technique très spéciale des travaux de votre compagnie où, suivant une réflexion de M. le Premier Avocat général Sartini van den Kerckhove -- dont la mémoire est encore si vivante en cette salle d'audience -, où disais-je, " tout est difficile, où l'effort intellectuel, dégagé de toute contingence matérielle, doit s'intensifier dans des aspects objectifs, arides, où rien ne distrait l'œil et n'apporte de diversion à la pensée tendue vers la vérité, sollicitée de part, et d'autre, malaisément délivrée de l'inquiétude et du doute... "

Les craintes de M. le Conseiller Pourbaix étaient assurément injustifiées Je n'en veux pour preuve que l'affectueuse estime dont vous l'entouriez et la consternation douloureuse qui vous a frappés à l'annonce inattendue de son décès.

Nouveau venu à votre Parquet, je serais, à bon droit, taxé de témérité si je tentais de caractériser la part que l'éminent magistrat a prise à vos travaux. Que pourrais-je d'ailleurs ajouter à l'hommage élevé que vient de lui rendre M. le Premier Président '

Le deuil cruel qui, voici quelques années, a détruit le bonheur de son foyer porta à M. le Conseiller Pourbaix, un coup ter-

Rible. Malgré la tendre sollicitude de ses enfants et votre chaude sympathie il garda l'aspect d'un homme meurtri. Sa douleur toutefois ne l'a jamais détourné de sa tâche quotidienne. Rien n'eût pu l'en éloigner; et c'est au moment où il se disposait à venir prendre sa place à votre audience que le mal qui devait l'emporter l'a brusquement terrassé.

A cet homme de bien, qui fut un chrétien sincère, un magistrat irréprochable, un père aimant et toujours préoccupé du bonheur des siens, Dieu donnera, dans le repos qu'il n'a pas cherché sur cette terre, la récompense de ses vertus.

Puisse son fils, dont il eût tant aimé pouvoir guider les débuts au barreau, puissent ses proches qui le pleurent, trouver dans nos condoléances et notre sympathie émue quelque réconfort.

M. le Bâtonnier des Avocats près la Cour de cassation, Paul Veldekens ayant obtenu la parole, dit

La mort vient à nouveau de frapper douloureusement la Cour et c'est avec ferveur que le Barreau s'associe à son deuil et à celui des enfants et des proches du regretté disparu, M. le Conseillé POURBAIX.

Notre peine est profonde, car celui qui quitte ce monde était une des figures les plus représentatives de tout ce qui synthétise la judicature dans l'acception la plus élevée et la plus complète de ce mot

Sa brillante carrière vient d'être retracée avec une autorité à laquelle nous ne pourrions que nuire en tentant d'y faire un apport nouveau.

Mais ceux, d'entre nous qui eurent le privilège de l'approcher de près, peuvent porter témoignage de tout ce que ce haut Magistrat unissait dans sa personne de culture, de sensibilité, de bienveillance et de modestie.

Il appartenait à cette génération qui pratiquait comme un culte les devoirs et les joies de la famille et de l'amitié. Travailleur infatigable, il suivait avec sollicitude les efforts des jeunes dont il se rapprochait volontiers; il souriait avec bonhomie et indulgence aux impatients, car il savait que le succès ne vient qu'en récompense d'un labeur opiniâtre.

Les événements devaient assombrir la fin de sa vie : je ne puis me rappeler sans émotion les alarmes dont il me faisait part dans ce Palais même il y a quelques semaines à peine, à l'égard de son fils, notre jeune et distingué confrère, rappelé sous les drapeaux et dont l'éloignement et les périls créaient dans son foyer un vide et une angoisse dont il parvenait difficilement à surmonter l'amertume.

Et c'était un spectacle émouvant de voir ce vénérable Magistrat dont la santé allait déjà s'affaiblissant, se préoccuper par des devoirs que le jeune stagiaire absent ne pouvait plus remplir envers sa clientèle naissante.

Il aura eu la joie, avant de s'éteindre, de voir se reconstituer autour de lui le cercle de ses plus chères affections et d'emporter l'assurance que les traditions d'honneur et de religieux dévouement à tout ce qui est juste et bon, qu'il a si splendidement cultivées, ne périront pas.


 

LUCIEN POURBAIX

° NAMUR 30/05/1873

= BRUXELLES 08/10/1940

X BINCHE 28/07/1902 avec sa cousine Jeanne Rose Louise LEVIE

CARRIERE

° NAMUR 30/05/1873

Orphelin à l'âge de 12 ans, perd sa mère en 1879, son père en 1885

Elevé à La Louvière chez son oncle Augustin POURBAIX, médecin et sa tante Zoé LAMBLOT

Perd son frère Henri 07/08/1908

Docteur en droit 04/10/1895 avec la plus grande distinction

Inscription au barreau de Charleroi 28/10 1895

Juge suppléant au tribunal de Charleroi 16/12/1899

Substitut au tribunal de Charleroi 11/05/1900

Se marie en 1902

Procureur du Roi 23/03/1912

Enfants - Marie Louise, ° CHARLEROI 12/05/1901 (célib)

- Lucienne, ° CHARLEROI 11/07/1906 (x MORELLE Jean-Marie (chev))

- Joséphine, ° CHARLEROI 07/02/1908 (x DUPRIEZ Charles)

- Henri Fernand, ° CHARLEROI 17/11/1913 (x LIAGE Marie Antoinette)

Conseiller à la Cour d'Appel de Bruxelles 26/04/1920

Veuf 14/03/1925

Conseiller à la Cour de Cassation 16/04/1934

Grand Officier de l'ordre de la Couronne 08/11/1938

Grand Officier de l'Ordre de Léopold 08/04/1940

Décès en fonction Bruxelles 08/10/1940

Inhumé

 

Christian Goens - La Louvière - Belgium - 2002 - tous droits réservés