CHRONIQUE DU CHARBONNAGE DE BOIS-DU-LUC

 

APERCU HISTORIQUE

sur le CHARBONNAGE DU BOIS-DU-LUC

Il n'est pas question de retracer l'histoire de cette vénérable institution. Voir à ce sujet la très volumineuse bibliographie régionale à ce sujet.

L'origine est la création de la société du Grand Conduit de Houdeng-Aimeries (Hainaut). Il s'agit d'une des toutes premières sociétés par actions d'Europe. On extrayait du charbon, 'la terhouille', des 'carbonnières' locales de la région du Roeulx depuis le douzième siècle, mais toujours par le truchement d'associations momentanées soit familiales, soit de confrérie. En fait, l'usage du charbon comme combustible n'était pratiquement pas connu au-delà du sillon charbonnier en raison des grandes difficultés des transports. L'extraction n'était justifiée que pour la consommation domestique locale et on ne peut parler d'industrie pour ces époques reculées. La houille était pourtant un excellent produit de substitution en remplacement du bois et du charbon de bois utilisés dans les forges. On pourrait s'étonner que le génie humain n'aie pas perçu plus tôt dans l'histoire l'intérêt des combustibles fossiles. Il existe deux raisons essentielles à cette situation. La première raison tient à la structure sociale de l'époque féodale où le manant qui s'employait occasionnellement aux travaux d'extraction, ne pouvait être considéré comme ingénieux et où il n'était pas question de lui faire confiance s'il ne possédait pas de bien. Le seigneur foncier ou le prince, seuls détenteurs du sous-sol, n'accordaient le 'droit d'ouvrir la terre' que pour des périodes très courtes, de l'ordre de une saison ou de trois ans, sous forme de bail, aux manants ou commerçants entrepreneurs. En plus, par tradition ou méfiance, les droits d'exploitation n'étaient donnés, non pas pour des surfaces ou territoires calculés à partir du sol, mais pour des veines ou des morceaux de veines ou gisements connus. D'autres contraintes venaient encore s'ajouter comme l'obligation de prendre des accords avec les exploitants du sol, l'obligation de remblayer les terres dans les ouvrages souterrains abandonnés, l'obligation du droit de cens et d'entre cens assez lourd à payer au seigneur haut-justicier (foncier), les 10% prélevés par l'état (droit de marlotage), etc. Il s'ensuit que personne ne prenait jamais le risque d'investir dans des ouvrages sérieux et rentables, dans des machineries et autres, que l'on serait obligé de déplacer, d'abandonner ou de détruire à très brève échéance. La seconde raison est technique: le problème de l'eau et de l'exhaure. L'exploitation à cette époque était faite à des profondeurs qui nous paraissent dérisoires aujourd'hui: 5 mètres, 20 ou 50 mètres au mieux. La nappe phréatique était vite atteinte et les puits et autres galeries étaient systématiquement envahis par les eaux. Les charbonniers dispersaient leur énergie à évacuer ces eaux à l'aide de moyens simples et archaïques. La solution la plus rationnelle était de l'évacuer au moyen de conduits, pour autant que la disposition des terrains s'y prêta. Il était essentiel évidemment que l'on puisse conduire ces eaux en des points situés plus bas que la partie la plus basse des ouvrages. Ainsi, ces eaux s'écoulaient seules, par effet de gravité. Mais la construction de ces conduits d'évacuation supposait un effort d'investissement préalable incompatible avec les habitudes, la longueur des baux, la situation internationale, les guerres etc.

Et pourtant, l'année même de la mort de Voltaire, l'année même de la révocation de l'Edit de Nantes, alors que nos provinces étaient encore en guerre ouverte avec Louis XIV, un groupe de manants associés comme par miracle avec des commerçants et des financiers, lesquels étaient complices de la noblesse locale, ces personnages s'unirent pour créer pareil conduit en se faisant fort d'obtenir des seigneurs et abbés de puissants monastères locaux des autorisations à perpétuité aux fins d'exploiter le sous-sol d'un territoire donné. Ils créèrent ainsi la société du Grand Conduit de Houdeng, par contrat signé à Mons le 14 février 1685, jour mémorable. Les comparchonniers de cet acte sont les nés BLANQUET Simon, POURBAIX ou de POURBAIX Auger, SIMON Charles, qui étaient les ouvriers d'une part et les sieurs André BLAREAU et NAVARRE, commerçants de Binche et CAUPAIN et LEGOEULLE, ces deux derniers juristes à Mons et homme de paille du seigneur de Houdeng, LE DANOIS de NEUCHATEL, d'autre part. Ce dernier était maréchal héréditaire d'Hainaut, descendant par les femmes de Nicolas ROLIN, grand chancelier du duc de Bourgogne Philippe Le Bon. Chacun de ces partenaires détenant 1/11ème du capital social (1) sauf l'avocat LEGOEULLE qui en prenait 5 parts, dont 4 étaient réservées en sous-main pour le seigneur LE DANOIS.

Il fallut pratiquement 20 ans pour terminer l'ouvrage destiné à évacuer les eaux. Il fut à peine terminé qu'il fallut en construire un second, absorbant de nouveau énergie et finances. Pendant ce temps, l'exploitation continuait vaille que vaille mais la société ne dégageait pas de réels bénéfices. Ils se firent attendre environ un siècle! Après l'installation d'une machine à vapeur qui extrayait l'eau d'une manière plus pratique qu'un conduit et qui permit d'approfondir les ouvrages (1780). Parallèlement, l'infrastructure de transport s'établit dans la région à l'époque thérésienne et le charbon pu être acheminé vers les grandes villes consommatrices.

Puis ce fut l'épopée industrielle du dix-neuvième siècle, la création de la ville champignon de La Louvière et toute l'histoire de la région du Centre, basée sur l'exploitation du charbon. La société du Grand Conduit s'était transformée par l'usage d'abord et ensuite officiellement en la société du Bois-du-Luc, raison sociale qui resta jusqu'à la fermeture en 1973 (2).

Constantin Meunier

Telle est rapidement brossée l'histoire de ce charbonnage qui finit par faire la fortune de ceux qui avaient pu garder leur part de créateur. En ce qui concerne cette garde, il faut distinguer un double phénomène: dès l'origine, les parts étaient ventilées vers deux groupes sociaux distincts: les nobles et hommes de loi d'une part, les manants et commerçants d'autre part. Ces deux derniers, en vertu de la loi coutumière, virent leurs parts se morceler au fur et à mesure des successions en tantièmes de plus en plus petits, rapportant de moins en moins: ils finirent par les vendre à des financiers et à des agioteurs qui les accumulaient (3). Les nobles et les hommes de loi, souvent alliés à la noblesse, ne fractionnèrent pas (ou beaucoup moins) les parts de fondateurs, soit en vertu du droit d'aînesse ou de préemption, soit en vertu du fait qu'ils possédaient suffisamment de biens immeubles pour réaliser les successions. Les parts de ces porteurs arrivèrent au milieu du dix-neuvième siècle pratiquement dans leur état d'origine et produisaient donc des revenus devenus considérables. Les de WAVRIN, de BISEAU et PLUNKETT jouissaient ainsi de pratiquement la moitié des bénéfices de la société, bénéfices qui ne firent que croître avec les décennies.

Après l'Empire, les petits porteurs réalisèrent enfin combien ces tantièmes qu'ils possédaient encore pouvaient leur assurer des revenus (4). Ils cherchèrent donc soit à les vendre au plus offrant pour une réalisation immédiate ou ils cherchèrent à les recouvrer lorsqu'ils croyaient y avoir droit et qu'ils n'en jouissaient plus. D'où d'interminables procès avec la société en vue de faire valoir des droits qu'ils croyaient encore posséder.

Avec le recul, on peut estimer que toutes ces familles qui attaquèrent, à tord, le charbonnage avaient été préalablement mal conseillées: méconnaissance des généalogies, méconnaissance de l'évolution du droit en transit entre l'époque féodale, l'Empire français et les deux royautés, méconnaissance de la jurisprudence, etc. Il se trouva que la plupart du temps, les plaignants se trompaient d'adresse en attaquant le charbonnage. Ce ne fut jamais justifié et s'il se trouvait qu'il exista un dol, la faute devait en être attribuée dans le passé à d'autres membres de la même famille! Les petits porteurs, issus de clans dont l'arbre généalogique descendant s'étalait de plus en plus avec les siècles, n'avaient plus la connaissance des actions de leurs prédécesseurs; trop de légendes circulaient et elles étaient tenaces, ils avaient perdus les papiers de familles dispersés au grès des générations, etc. L'examen des archives de la société exprime d'une façon extrêmement claire sa probité indiscutable en ce qui concerne la distribution des dividendes. Toutes ces affaires étaient pratiquement perdues d'avance d'autant plus que le charbonnage avait de puissants moyens financiers lui permettant de disposer des meilleurs juristes et avocats, tandis que les familles, souvent modestes, ne bénéficiaient pas du même support; leurs avocats les entraînèrent parfois dans des considérations et des argumentations frisant le ridicule, empreintes d'un jusqu'au-boutisme dérisoire. Condamnés la plupart du temps aux frais de procédure et d'exploits, certains membres de ces familles étaient parfois insolvables, ne se présentaient plus aux audiences et se cachaient des huissiers. L'affaire BRIME(E) est caractéristique à ce sujet: la plupart des demandeurs étaient indigents. Ces petites gens avaient fait un rêve fabuleux: qui avait bien pu leur donner cette idée d'attaquer le charbonnage?

En revanche, ce dernier ne montre aucun signe de vindicte: c'est heureux car les attaques devenaient souvent des accusations de malversations, qui, non prouvées, auraient pu se retourner contre leurs auteurs pour diffamation! Car, d'une façon générale, que demandaient les consorts: le recouvrement de dividendes non attribués indûment, avec effet rétroactif et parallèlement, la reconnaissance de leur soit disant tantième de part de fondateur. Autrement dit, les consorts accusaient la société d'avoir gardé pour soit une fraction des bénéfices leur revenant.

En vertu du contrat de constitution de 1685, les parts mises en disponibilité ne pouvaient être cédées qu'à un autre associé. Cette disposition est restée valable jusqu'en 1935 (année de la transformation de la société civile en société anonyme) et les dérogations sont peu nombreuses. Sauf une, flagrante et abusive, contre laquelle personne ne semble s'être élevé: la vente par LE DANOIS de CERNAY de ses 2/10ème à de BISEAU, en 1740. Ils étaient les deux seigneurs d'Houdeng, l'ancien et le nouveau. Une autre forme de dérogation fut dans le fait que la société racheta elle-même certaines parts mises en disponibilité. Ces rachats se faisaient par l'entremise du receveur agissant au nom de l'ensemble des coassociés. Ce sont les fameuses parts 'retraites' dont les revenus permirent sans aucun doute une augmentation du cash-flow et une sécurité supplémentaire vis-à-vis des importants investissements qu'elle devait envisager comme la construction de voiries ou l'achat de nouvelles installations d'exhaure. Ce sont ces fameuses parts retraites qui introduisirent une sorte de suspicion et on peut le comprendre: il semble qu'aujourd'hui encore, bien que nous disposions de toutes les archives utiles, qu'il soit difficile de reconstituer l'historique de ces rachats, tantièmes par tantièmes. Certains en avait déduit, sans doute trop rapidement, une certaine manipulation comptable, mais également des possibilités de recouvrement: "Notre part perdue, c'est le charbonnage qui en profite!".

Le dossier 'procès' ne contient pas toutes les affaires du genre que le charbonnage eut à soutenir; il ne se présente donc pas comme étant exhaustif en la matière et n'épuise donc pas le sujet. Nous non plus, dans nos commentaires. Si d'autres affaires tournant autours du même thème se sont présentées, elles encourraient le risque de lasser. Il ne s'agit pas de contester le droit qu'a quiconque de tenter de recouvrir un droit qu'il croit avoir perdu, mais une vue rétrospective de ces affaires conduit à se demander pourquoi autant d'énergie fut dépensée.

(1) Cette part 1/11 ème se transforma ultérieurement en part 1/10 ème suite au désistement de SIMON Charles. Cette transformation facilita d'une manière extraordinaire les comptes de distribution des dividendes pendant 250 ans.

(2) Le dernier siège d'exploitation, le Quesnoy ferma le 30 juin 1973.

(3) Au début du dix-neuvième siècle on estime que les BLANQUET et POURBAIX ne possédaient déjà plus que 25% de leur part d'origine (cela signifie qu'au lieu de toujours posséder 2/10 ème, ils n'en avaient plus que 1/20 ème. Mais si l'on considère les ressortissants de la famille ne portant plus le nom de Pourbaix ou Blanquet, il est probable qu'ils détenaient encore quelques pourcents de plus. Voir Plus loin.

(4) Si en 1740, 1/10 ème toucha un dividende de 1500 francs, en 1800, de 2000 francs, en 1820, le même dixième produisit 32600 francs, en 1907, 360000 francs.

 

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Christian Goens - La Louvière - Belgium- mai 2005 - tous droits réservés